vendredi 20 août 2010

Oui mais alors, à quoi ça sert???

La presse l'été, c'est pire que la presse l'hiver... En dehors des sempiternels "l'immobilier à Paris, les vrais prix quartier par quartier" et "le classement des hôpitaux, les vrais prix quartier par quartier", on peut dévorer les numéros spéciaux audacieux du Point, du Nouvel Observateur et de l'Express sur des sujets aussi brulants que "les francs-maçons et le pouvoir", "les Français et les médicaments", et, top du top de la subversion, l'incontournable "spécial sexe : comment réveiller sa libido". (J'attends toujours le numéro "spécial sexe : comment les francs maçons français retrouve leurs libidos grâce au médicaments", qui, à n'en pas douter, serait au top des ventes).
Toutes les publications estivales ne sont pour autant pas aussi sédatives. Cet article majeur, signalé par grangeblanche, est la preuve indubitable de la nécessité de rester vigilant.
Dans la pré-publication de Circulation du 26/07/2010, cet article d'échocardiographie, hélas plus conventionnel, me réveille de la douce torpeur dans laquelle j'étais plongé :
Correlates of Echocardiographic Indices of Cardiac Remodeling Over the Adult Life Course: Longitudinal Observations From the Framingham Heart Study
Susan Cheng, Vanessa Xanthakis, Lisa M. Sullivan, Wolfgang Lieb, Joseph Massaro, Jayashri Aragam, Emelia J. Benjamin, and Ramachandran S. Vasan
Circulation. 2010;122:570-578; published online before print July 26 2010

 Framingham, pour mes lecteurs Martiens, c'est  cette étude "super-Loft" où l'on mesure la population d'une ville dans tous les sens depuis 1948, c'est grâce à tous les Framinghamiens que l'on sait que fumer une cigarette par jour représente une sur-risque de mortalité équivalent à celui d'écouter une chanson de Michel Sardou, soit 1.37 fois celui de traverser la rue devant une Austin mini.

Dans cet article, 4062 habitants d'environ 45 ans, (54% de femmes, il y a aussi des femmes à Framingham) ont étés suivi pendant 16 ans, avec une échographie cardiaque tous les quatre ans.

Figurez vous qu'avec l'âge, les diamètres du ventricule gauche diminuent, l'épaisseur des parois augmente, et la fraction de raccourcissement augmente. Big deal!, honnêtement, ce n'est pas un scoop, quand on est échographiste du club des joueurs des "chiffres et des lettres", on avait déjà une petit idée... On rajoute une mini insuffisance aortique et une mini insuffisance mitrale, une petite calcification postérieure de l'anneau, une oreillette gauche à 23 cm2 et le tour est joué, on obtient le compte rendu standard du service de gériatrie.

Mais il faut tenir bon. Le vrai scoop est à la fin, Madame Cheng s'y connait en thriller de l'été. En séparant la population en "groupe à risque" (que nous appellerons DOH! cri d'Omer Simpson et Diabète-Obésité-Hypertension) de "groupe sans facteur de risque" (que nous appellerons JST : jogging-thé-sudoku), on tire de précieux renseignements. Certes, chez les DOH comme chez les JST, l'épaisseur des parois du VG augmente avec l'âge. Mais le diamètre télédiastolique ne diminue pas autant qu'il le devrait, et la fraction de raccourcissement n'augment pas autant que chez les sujets JST.
Ce qui veux dire :
1- Que le remodelage concentrique serait une évolution physiologique liée à l'âge et pas nécessairement l'effet de l'hypertension
2- Que ne pas avoir de remodelage concentrique et d'augmentation de la fraction de raccourcissement pourrait-être une réponse anormale au vieillissement, liée au Diabète-Obésité-Hypertension, et pourrait donc être une première pierre à l'explication physiopathologique de l'insuffisance cardiaque à fonction VG conservée
3- Donc, avoir une échographie "normale" (sans remodelage concentrique) à plus de 50 ans serait mauvais signe…

Évidemment, cela pose plusieurs questions, et cette étude, comme le souligne les auteurs eux-même, est victime des "limites de sa puissance" : avoir tant de données rend complexe l'analyse d'autres éléments qui auraient pourtant été précieux : l'étude de la fonction diastolique, le suivie de la taille indexée de l'OG, les mesures de masse VG indexées etc…
Au delà de cette population, je me demande quelle importance donner aux études évaluant l'efficacité des anti-hypertenseurs sur les paramètres VG, et qui n'incluent pas de groupe contrôle, (une population NON hypertendue, et pas des hypertendus sous un autre "traitement de référence"…)
Pour finir, cet article de fin juillet pourrait bien être un véritable pavé dans la mare.
J'imagine déjà la suite : "Framingam, les vrais prix, quartier par quartier"...

2 commentaires:

  1. Ta contribution a réveillé en moi de vieux et passionnants souvenir du temps où j'étais jeune et beau et travaillais avec Guiomard lui même disciple de Gourgon et Merillon.
    A l'époque un article fondateur (Ganau, Devereux Roman, De Simone et al : patterns of left ventricular hypertrophy and geometric remodelling in essential hypertension JACC 1992 ; 19 1550-8 ), avait mis en évidence 4 profils de remodelage : HVG excentrique, HVG concentrique, le remodelage concentrique et le normal (qui n'est pas un remodelage stricto sensu). Dans le RC les résistances périphériques étaient plus élevées, le volume d'éjection systolique plus bas et du coup le niveau tensionnel plus bas que dans les HVG, et donc tout se passe comme si le RC est une réponse physio à l'HTA,qui en diminuant le débit permet une montée tensionnelle plus basse (et donc une préservation des organes cibles) . Cela mis en parallèle avec les travaux de Merillon, ( relationship between physical properties of the arterial system and left ventricular performance in the course of aging and hypertension Eur Heart J 1982 ; 3 : 95-102) qui démontrait que l'age et l'HTA avait le même impact sur la physique artérielle (la compliance, l’impédance, la VOP), et la fonction VG (par l'HVG, et la fonction pompe), on peut dire que l'age est comme l'HTA, et que la réponse que l'on voit dans l'une qui est pathologique (l'HTA) est similaire à celle que l'on voit dans l'autre physiologique (l'âge). Bon tout cela est une lapalissade, mais rappelons quand même que dans l'age on a aussi des modifications profondes de l'onde de pouls, de la précocité des ondes de retour, du niveau de la pression pulsée, bref de tout ce qui fait "la post charge en gros " (Gourgon étranglait celui qui parlait inconsidérément de la post charge), et qui fait qu'on a l'age de ses artères et réciproquement. Tout çà pour dire quoi? Que peut être ceux qui sont le plus adaptés aux modifications liées à l'age sont les remodelages concentriques, et d'ailleurs quasi tous les nonagénaires voire les centenaires qu'on voit sont des RC. Les dilatés sont depuis longtemps partis... On pourrait si on avait un peu de temps, reprendre ces études et les moderniser un peu, en étudiant la fonction pompe plus précisément (le DTI, le speckle), et aussi la compliance artérielle (la VOP), et pourquoi pas une MAPA (la pression pulsée), l'idée étant de dire que le RC est une réponse quasi physiologique à l'âge, il faudrait trouver des sujets bien portants en gériatrie ce qui ne serait pas de la tarte, peut être en EPAD ou en consult, mais là je ne suis pas volontaire ...
    Mais en tout cas je suis bien content que tu ais sorti cet article de Framingham, merci pour tout et pour ton blog en particulier.
    Philippe Abassade

    RépondreSupprimer
  2. Salut Philippe,
    tout d'abord, je tiens à préciser une chose : tu es toujours jeune et beau.
    Merci pour ton commentaire, cela me fait très plaisir de te lire sur ce blog!
    Si on peut rapprocher les remodelages concentriques "post HTA" du vieillissement physiologique, les auteurs mettent l'accent sur le moindre remodelage (diminution moins importante, voire absente du DTD VG et non augmentation de la fraction de raccourcissement) dans la population diabétique-obèse-hypertendue, et en particulier chez la femme. As tu connaissance de modification de "la post charge en gros" et de la vélocité d'onde de pouls chez ces patients, qui pourrait altérer le processus de remodelage?
    Ce genre d'étude parait en effet difficile à mettre en place puisqu'elle nécessite un suivi longitudinal des mêmes patients sur une durée prolongée. Mais je pensais, on pourrait peut-être faire notre Framingham à nous. Je connais une petite ville de banlieue parisienne (Neuilly sur Seine), où les gens sont, parait-il, âgés, et ne déménagent jamais. On y est maire de père en fils, et les mariages sont exclusivement entre résidents. Ça devrait assurer un suivi de qualité, et, en couplant nos fichier a ceux de BMW, aucun perdu de vue! Qu'en pense Aurélie?
    Sinon, nous pourrions rentabiliser nos échos demandées pour "bilan de chutes mécaniques"…
    On en reparle la semaine prochaine?
    Encore merci pour ta contribution,
    Philippe.

    RépondreSupprimer